Comment décrire le MAP ? Si le meilleur du « rap conscient » - celui qui va de Casey à La Rumeur - nous met, disons, des grandes claques dans la gueule, le MAP fait plutôt l’effet d’un beau coup de pied au cul. Moins agressif, bien qu’énergique. Plus « grand public », moins intense, moins sombre : le MAP ne s’interdit ni l’humour ni l’exubérance. Il est même « festif » à l’occasion (Balle populaire, Debout là-dedans, Lillo), même si, rassurez-vous, on reste très loin de Zidane il va marquer !.
Essayons d’être précis : un album paru l’an dernier, seize titres, qui vont du plutôt pas mal (Avancer, Je ne suis pas un numéro) à l’excellent (tout le reste). Cinq lascars lillois, deux « blancs » et trois « arabes », revendiquant fièrement leurs origines pas catholiques autant que leur identité « ch’ti » et « prolo » - mais pas française, n’en déplaise à Sarko & (DocGyne) Co. Deux rappeurs (excellents), un DJ, un violon, un accordéon et quelques chœurs féminins en langue arabe.
On pense parfois à Zebda : même énergie, même croisement réussi entre rap, rock et musique plus traditionnelle (arabe, orientale, franchouillarde), même va-et-vient entre humour, réalisme poétique et dénonciation politique - avec juste un peu plus de radicalité dans le propos : au MAP, on appelle un chat un chat, un SDF un SDF et un précaire un précaire, on évoque sans fausse pudeur l’islamophobie et le passé colonial de la France, on « accuse l’école de cultiver l’ignorance » sur ce passé, et on tape sans retenue sur « la gauche-caviar, maffieuse, paternaliste et vicieuse » ou sur des policiers qui « nous prennent pour des cobayes » et « se prennent pour des cowboys ».
On pense aussi aux premiers albums de Renaud, à cause de l’accordéon bien sûr, mais aussi de la verve comique de Fallait pas nous inviter ou de Donnez nous du vrai, pamphlet hilarant sur les « chanteurs en bois et en plastique » qui envahissent les ondes radio. On pense à Renaud, aussi, pour le réjouissant Lillo, qui est l’équivalent ch’nordique d’Amoureux de Paname, et le génial Elle est belle la France, qui est l’équivalent basané d’Hexagone : un réquisitoire à peu près exhaustif sur la France de 2006 telle que peuvent la percevoir des enfants d’immigrés arabes qui ont eu la bonne idée d’oublier leur obligation de réserve, de gratitude et de bouffonnerie. Cette France, comment dire, ils ne l’aiment pas beaucoup - mais n’en déplaise encore à Sarko, ils ne la quitteront pas.
Ailleurs, le registre est plus grave, voire mélancolique (Sherazade, sur Bagdad sous les bombes, et surtout Manich Mena, magnifique hymne à l’immigration). Ajoutez à cela En haut de l’affiche, une réécriture plutôt réussie de la célèbre chanson d’Aznavour, et vous aurez l’un des meilleurs disques en langue française paru ces dernières années.
Quant à la scène, nos lascars y sont comme des poissons dans l’eau, moyennant quoi la conclusion s’impose vite : allez-y ! Guettez leur passage, achetez leur disque !