Max-André Pick est vraiment désolé. Le candidat UMP à la mairie de Roubaix (Nord) se démène comme un beau diable pour tenter de faire voter les habitants de sa commune. En voiture, avec un colistier, il sillonne les rues des quartiers populaires pour distribuer des tracts et sa profession de foi. Mais à 10 heures du matin, ce vendredi 14 mars, M. Pick peine à trouver des électeurs. Des jeunes, oui, mais âgés de moins de 18 ans. Quelques passants ou clients de bars, aussi, mais beaucoup sont étrangers et n'ont pas le droit de vote. Quant aux autres, ceux qui peuvent voter, le résultat est franchement médiocre, sinon désespérant. Car Roubaix (97 000 habitants) a battu des records, au premier tour, avec 60,5 % d'abstentionnistes sur la commune et jusqu'à 70 % dans les quartiers les plus pauvres. En candidat appliqué, Max-André Pick fait le job. Mais il n'y croit pas vraiment. "Comment voulez-vous que les gens puissent croire dans la politique quand ils vivent dans des conditions pareilles ?", se désole-t-il en montrant du doigt une maison délabrée, visiblement insalubre, où continuent d'habiter des familles. Roubaix a certes changé d'image ces dernières années, avec la transformation du centre-ville. Mais l'ancienne capitale du textile reste terriblement précarisée, avec des taux très élevés de chômeurs, de RMistes, de jeunes sans qualification, de ménages non imposables, de bénéficiaires de la couverture-maladie universelle (CMU).... "A Roubaix, la population souffre énormément et n'a pas le sentiment que la politique lui apportera des solutions", explique Catherine Huguet-Buisine, 42 ans, en route, avec cinq autres militants socialistes, pour distribuer des tracts vantant le bilan de l'équipe municipale sortante. Empêtrés dans les problèmes de logement et d'emploi, les habitants gèrent l'urgence. "C'est de la survie", dit Max-André Pick. "La ville est minée par le chômage, la précarité et des discriminations lancinantes. La conséquence est qu'une grande partie des Roubaisiens se sentent sur une autre planète par rapport aux hommes politiques", relève le candidat écologiste, Slimane Tir, en rupture avec la liste socialiste. Cette désillusion vis-à-vis du politique s'est longtemps traduite par un vote d'extrême droite (jusqu'à 24 % à la présidentielle 1988 ou aux municipales 1995) mais celui-ci est retombé à 10 % environ en 2007, puis en 2008. Le FN a perdu de sa force, mais le discours de rejet des hommes politiques, "tous pareils", demeure. Aux militants socialistes venus frapper à sa porte pour l'inciter à voter, un vieil homme, âgé de 75 ans, répond qu'il ne croit plus à la politique et qu'il n'ira plus jamais voter : "C'est tous les mêmes. Ça sert à rien d'aller voter. Rien ne change." Des réflexions entendues tous les jours et auxquelles les militants peinent à répondre. Un ressentiment qui transpire lors de chaque opération de porte-à-porte, quel que soit le bord politique des militants. Les candidats ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour ramener les brebis citoyennes aux bureaux de vote. Entre les deux tours, le PS estime avoir frappé à plus de 4 000 portes. A partir de l'analyse en détail des listes d'émargement, 400 à 500 abstentionnistes ont été contactés par téléphone par des sympathisants socialistes de leur quartier. Le candidat écologiste organise du porte-à-porte et distribue des pommes à la sortie des écoles. Avec une interpellation très directe des électeurs qui ont boudé les urnes : "Vous pensez que vous valez moins qu'un autre ?" Du travail de court terme. Une vision très intéressée. Du "speed-dating" citoyen, là où Bruno Lestienne, 41 ans, animateur d'un comité de quartier, réclame une autre approche de la politique. "Au fond, les élus font de la politique entre eux. On ne les voit que pendant les campagnes", explique-t-il en faisant visiter son quartier - là une placette en sale état, ailleurs des immondices abandonnées au pied d'un immeuble, plus loin des "dents creuses", ces maisons laissées à l'abandon au milieu de logements habités. Avec son association, il porte une campagne d'incitation ("Je pense, donc je vote"), reconduite lors de chaque élection depuis 2002. "Nous, on fait ce qu'on peut, avec nos moyens de bouts de chandelle, pour faire participer la population. Mais on arrive au bout de ce qu'on peut faire. C'est aux politiques de changer." A Roubaix, quel que soit l'impact des opérations de porte-à-porte, le résultat final du scrutin ne fait aucun doute. Au premier tour, la liste du maire sortant, René Vandierendonck (PS), avait manqué de peu l'élection avec 48,06 % des suffrages, très loin devant ses deux concurrents du second tour, Max-André Pick (UMP, 19,01 %) et Slimane Tir (Verts, 13,67 %). Dimanche soir, il devrait donc l'emporter largement. Une victoire politique incontestable en termes de pourcentages. Mais une légitimité réduite : avec un total prévisible de 10 000 voix environ, la liste du maire sortant représentera un peu plus d'un inscrit sur cinq et d'un habitant sur dix. Article paru dans l'édition du 16.03.08 |