« La mode est au noir », relève avec une pointe d´ironie Christiane Taubira, députée de la Guyane et ancienne candidate à l´élection présidentielle [1].
Depuis la victoire de Barack Obama aux primaires du Parti démocrate, le sénateur noir de l´Illinois est devenu la coqueluche du petit monde politique hexagonal, à gauche comme à droite.
Une véritable « Obamania » déferle sur le pays, ralliant des élites politiques, des intellectuels, des stars du show-biz et des citoyens ordinaires qui ont monté des « comités Obama ». L´élection présidentielle américaine n´a jamais autant passionné les Français, en particulier nos responsables politiques, qui rivalisent de louanges à l´égard du candidat démocrate. « Un jeune Noir qui est une étoile montante et qui est impressionnant de charisme », déclare le Premier ministre, François Fillon. « Une belle surprise, d´une grande nouveauté et d´un nouvel élan », renchérit Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d´État à l´Écologie. La droite libérale et conservatrice française est donc comme un seul homme derrière Obama ? « Aux États-Unis, l´UMP serait démocrate », justifie sans hésitation Axel Poniatowski, président de la commission des Affaires étrangères à l´Assemblée.
D´aucuns se mettent à rêver d´un nouvel axe Paris-Washington, fondé sur une relation inédite entre deux chefs d´État au destin unique - le fils d´immigré hongrois à l´Élysée et le jeune Noir avocat des ghettos délaissés bientôt à la Maison Blanche - et sur un partenariat privilégié entre l´UMP et le Parti démocrate. Il est vrai que Laurent Wauquiez, secrétaire d´État chargé de l´Emploi, le benjamin du gouvernement, est l´un des rares politiques français à avoir fait le déplacement cet été à la Convention démocrate de Denver.
Mais la gauche n´est pas en reste d´idolâtrie. La quasi-totalité des éléphants du Parti socialiste avaient choisi Obama avant même que ce dernier soit investi officiellement. Un candidat « multiculturel » prompt à réaliser le rêve socialiste Black-Blanc-Beur dans sa version américaine, voilà qui n´est pas pour leur déplaire.
Et même le Parti communiste, que l´on ne peut soupçonner de sympathie pour l´ultralibéralisme du Parti démocrate, y est allé de son couplet, par la voix de Marie-George Buffet : « Ce serait un moment important qu´un homme de couleur noire puisse accéder à cette haute responsabilité. »
Même engouement au centre, chez François Bayrou, qui affirme appartenir à la « même famille politique » que le sénateur américain. On pourrait se féliciter de voir les responsables politiques français exprimer leur hantise du spectre racial et promouvoir une société multiculturelle et fraternelle, dont l´élection d´Obama serait le symbole.
Mais, cette « société idéale », veulent-ils la voir se réaliser chez eux ? Un « Obama français », qui aurait plus de chances de s´appeler Mamadou, Fatouma ou Souleymane, est-il concevable en France ? C´est là où le bât blesse : l´Obamania à la française semble fonctionner comme une entreprise de déculpabilisation collective, voire comme une sorte de « dérivatif » exotique, qui esquive le fond du problème. Car, en dépit du nouvel engouement pour la « diversité », les partis politiques de l´Hexagone sont rongés par des discriminations quasi structurelles qui frappent en premier lieu les Français issus des migrations et des DOM-TOM, condamnés aux arrière-cuisines de la politique.
Les derniers résultats des élections législatives de 2007 et des élections municipales de 2008 ne démentiront pas ce sombre constat : la « vague blanche » a déferlé sur nos assemblées politiques locales et nationales, consacrant la domination inébranlable des notables gérontocrates, laissant quelques miettes à des candidats dits de la « diversité » qui ont dû se contenter des seconds rôles ou de places de figurants. En France, les minorités « visibles » sont étonnamment « invisibles ». Tout se passe comme si le système politique fonctionnait selon un « ordre mélanique », comme le souligne le sociologue Pap Ndiaye [2] : la représentativité politique des individus et des groupes s´établirait en fonction du degré de pigmentation de la peau, les Noirs étant relégués au bas de la hiérarchie mélanique, les Arabes et les Beurs occupant une position intermédiaire.
Les Noirs ont toujours fait l´objet d´un traitement ambivalent de la part des responsables, à la fois valorisés comme contre-feux exotiques aux « Arabo-musulmans » et enfermés dans un rôle d´éternels grands enfants. Une stigmatisation positive qui n´en est pas moins humiliante et pénalisante. [...]
Plus que de racisme, les élites politiques françaises enchantées par Obama semblent atteintes de « placisme » : un syndrome qui se traduit par une véritable obsession des notables locaux et nationaux à garder leur place et surtout à tout faire pour que cet Autre (Black, Beur, Domien...) n´y accède jamais.
Au début des années 1960, le célèbre psychanalyste antillais Frantz Fanon écrivait : « La première chose que l´indigène apprend, c´est à rester à sa place, à ne pas dépasser les limites [3]. » En 2008, l´Obamania à la française ressemble fort à un « vote par procuration » qui se serait perdu dans les méandres de la poste transatlantique.
* Vincent Geisser et El Yamine Soum sont les auteurs de l´ouvrage Discriminer pour mieux régner. Enquête sur la diversité dans les partis politiques, éditions de l´Atelier, 2008.
Notes
[1] Rendez-vous avec la République, Christiane Taubira, La Découverte, 2007, p. 35.
[2] « Pour une histoire des populations noires en France : préalables théoriques », Pap Ndiaye, le Mouvement social, n° 213, octobre-décembre 2005.
[3] Les Damnés de la terre, Frantz Fanon, La Découverte, 1961, p. 32.