mardi 12.04.2011, 05:22 - PAR MARC GROSCLAUDE
« Je vous invite à continuer votre lutte. Elle est juste et vous avez tout notre soutien. » Même du haut de son fauteuil de député européen, Eva Joly n'a sans doute que son appui à offrir aux employés de Camaïeu qui luttent toujours pour leurs salaires. C'est néanmoins ce qu'ils cherchaient en l'invitant hier à Roubaix.
Cliquez ici pour accéder au contenu
« Je suis très heureuse d'être là car il me semble que la situation de votre entreprise est très emblématique et symbolique de ce qu'il se passe. On presse les salaires vers le bas et le jeu ne s'arrêtera que lorsque vous ne pourrez plus vivre. Pendant ce temps, la rémunération du capital augmente. C'est insupportable. » Il n'en fallait pas davantage pour que les représentants CGT et FO de Camaïeu applaudissent des deux mains. Toujours mobilisés pour des augmentations de salaires plus substantielles que ce que leur direction propose dans le cadre des négociations annuelles, ils ont pu exposer des situations concrètes.
« Regardez ce que gagne une responsable de magasin : 8 ans d'ancienneté, un taux horaire de 11 euros, 1 365 euros net avec prime d'ancienneté de 60 euros. C'est pour cela qu'on interpelle les politiques. Notre société est un cas d'école », a clamé Cherif Lebga, délégué FO qui a cité un autre exemple, le sien. « 1 140 euros net, je paye 600 euros de loyer. Et je touche le RSA ! On est tous comme cela.
C'est pour cela qu'on veut passer le message. C'est très grave. Les salariés vont percevoir 1 140 euros net toute leur vie, pour une pension de 800 euros ! Nous, on demande au président de la République de venir au 211 avenue Braem à Roubaix et de rappeler à cette direction inhumaine que le fruit du travail doit être réparti auprès des salariés et non des actionnaires. Camaïeu, c'est un milliard de chiffre d'affaires. Le gâteau, ça doit être pour tous les salariés. » Pour Eva Joly, « c'est une situation d'injustice, qui crée la misère sociale. Chercher une rentabilité à deux chiffres, surtout dans le textile, on voit la pression que cela exerce sur les salariés. Il faut une réglementation européenne. Alors que les salariés se battent pour une augmentation qui suit le coût de la vie, le patron est parti avec un bonus sur lequel il ne paiera que peu d'impôt. C'est une absence de respect et le système ultralibéral poussé dans ses retranchements. » Ancienne magistrate spécialisée dans les affaires financières, Eva Joly n'a pu s'empêcher de voir dans la conduite de l'entreprise une manipulation contestable. « L'action a monté de 40 % en bourse, car il y a une offre publique de retrait de titres. Le fond de pension souhaite sans doute avoir moins de renseignements à fournir dans l'avenir. » Et la candidate à l'Élysée de rappeler que, selon elle et son mouvement, Europe Écologie Les Verts, « il y a d'autres systèmes possibles ».
En attendant, les négociations salariales se poursuivent, après les dernières propositions de la direction vendredi. Les syndicats (du moins ceux qui n'ont pas encore donné leur accord, l'UPAE et la CFDT) disent consulter les salariés. « On leur demande s'ils s'en satisfont ou pas, mais certains nous disent qu'ils ont déjà perdu six jours de salaires pendant la grève et qu'ils ne peuvent plus lutter, à cours de fric. » •
ROUBAIX
Les « Camaïeu » tiennent enfin leur événement national
Publié le mardi 12 avril 2011 à 06h00 - YOUENN MARTIN > youenn.martin@nordeclair.fr
Alors qu'ils tentent depuis plusieurs mois de faire entendre leurs revendications salariales, les représentants syndicaux CGT et FO ont enfin réussi à faire parler d'eux nationalement. Leur secret ? Éva Joly.
Dans la froideur de janvier, déjà, ils en rêvaient à haute voix. Avoir un retentissement national pour qu'on évoque leur cas au plus haut sommet de l'État. Il a fallu attendre le printemps et surtout la venue d'Éva Joly pour que leur souhait se réalise. Hier après-midi, les délégués syndicaux CGT et FO ont pu découvrir ce qu'est un événement médiatique : des caméramen et des photographes qui se pressent et se bousculent pour saisir chaque image et chaque phrase de l'eurodéputée Europe écologie et candidate à la candidature à l'élection présidentielle.
Sur le fond, Éva Joly épouse pleinement le discours développé par les syndicalistes depuis plusieurs mois dans les médias locaux : « C'est une situation inhumaine et insupportable. Et tout à fait emblématique de ce qui se passe dans d'autres entreprises : on pressurise les salariés pour mieux rétribuer les actionnaires. La course à la rentabilité à deux chiffres pousse les salariés à la logique de la survie. » Au passage, l'ex-magistrate rassure les délégués syndicaux menacés de procès pour diffamation par leur direction : « Ne vous laissez pas impressionner ». La direction de l'entreprise roubaisienne n'a pas souhaité réagir, estimant qu'il s'agissait d'une prise de position politique.
La portée nationale de cette visite permettra-t-elle de faire réagir l'Élysée ? Après tout, Camaïeu perçoit des déductions fiscales sur les bas salaires et certains employés, dont les conjoints n'ont pas de travail, perçoivent le RSA.
Néanmoins, ce joli coup médiatique pourrait être vain. La CFDT a lâché la CGT et FO et devrait signer avec l'UPAE (un syndicat propre à Camaïeu) l'accord proposé par la direction vendredi à l'issue de la négociation annuelle obligatoire. Dans l'entrepôt, les employés privés de six jours de salaires en janvier lors de la grève semblent se résigner. Après tout, 2 % pour les employés, ce n'est qu'une vingtaine d'euros, c'est loin des 150 E d'augmentation générale défendus par la CGT et FO. Mais c'est mieux que les autres années. Ce paradoxe était flagrant hier : pour accueillir Éva Joly, il y avait plus de journalistes que de salariés.