Le cafetier algérien est devenu, malgré lui, un symbole de résistance qui a fait le tour du monde
RÉSISTANCE ROUBAIX
Jeudi, 15 h. Salah Oudjan est seul dans son café. “Journaliste ? De Belgique ? Vous êtes le premier. Je n’ai eu que des Français jusqu’à présent”, dit-il.
L’homme nous montre une série de cartes de visite laissées par nos confrères français.
Depuis quelques heures, et son passage dans le JT de TF1, le plus suivi en Europe, l’homme est une star mondiale. Bien malgré lui. Salah, 71 ans, arrivé en France en 1949, est sorti de l’anonymat parce qu’il s’est battu comme un beau diable pour sauver son café. Car ce bistrot qu’il a repris en 1965 à l’angle des rues de Menin et de Tourcoing, dans ce qui fut jadis le poumon économique de la région, est toute sa vie.
“Ils attendront que je sois mort au milieu de mon café pour le démolir”, dit-il. Autour, les grues ont tout rasé. Le site de l’Union est destiné à devenir un éco- quartier qui comptera 1.400 logements d’ici à 2022. Mais Salah ne veut rien savoir. Ce bistrot ne tombera pas.
“C’est dans mon caractère de résister”, dit-il. Et le vieil homme aux dents dorées n’a pas besoin des couteaux offerts par des clients fidèles pour se défendre. Ils continueront à décorer les murs. Un homme à l’accent marseillais entre. “Je vous ai vu à la télé hier soir. Continuez à résister. Ne lâchez rien”, lance le jeune Maghrébin venu rendre visite à sa famille dans le Nord. Salah rigole.
“Depuis que je suis passé dans la presse, des gens que je n’avais jamais rencontrés avant viennent boire un verre chez moi. Je reçois des coups de fil de partout, même des États-Unis.” Quant aux lettres, elles s’amoncellent sous son bar. Des gens de toute la France lui envoient des mots gentils. Salah est même invité pour l’inauguration d’une exposition à l’Université de Nanterre où sa photo trônera sur un mur. “Mais je n’irai pas. Qui va tenir mon café ?”
Depuis 1965 , il n’a jamais quitté son estaminet. Sauf peut-être pour enterrer ou marier les siens au pays. Mais son monde à lui, c’est ce petit coin de Roubaix, situé à un jet de pierre de Mouscron. Une dame s’arrête, elle a aussi vu Salah à la télé. Face à la toute-puissante Communauté urbaine de Lille, présidée par Martine Aubry, Salah résiste comme le village gaulois d’Astérix face à l’envahisseur. Il a vu tomber les murs voisins les uns après les autres, mais, il le jure, les murs de sa maison, située à 1.522 mètres exactement de la mairie de Roubaix, resteront droits jusqu’à sa mort car il ne compte pas non plus prendre sa retraite. “La retraite, c’est pour les fainéants !”
Tout le monde espère que le juke-box installé dans le café en 1971 fera encore danser de nombreux clients sous la boule à facettes électriques. Salah veut voir des gens qui dansent, qui rient sous les regards des animaux empaillés qui sont placés au-dessus de son comptoir.
Cédric Ketelair
Depuis 1965, Salah Oudjan n’a jamais quitté son estaminet. Il résiste contre un mégaprojet d’éco-quartier, porté par la Communauté urbaine de Lille.
KETELAIR