L’écologiste Slimane Tir se présente dans la 8e circonscription du Nord sous l’étiquette PS-EELV. Force vive de l’écologie dans le Nord-Pas-de-Calais, il pourrait devenir l'un des premiers députés Français d’origine maghrébine sous la Ve République.

Roubaix, envoyé spécial - Sur le nouveau marché de Roubaix (Nord), la pluie et la grisaille ont découragé la plupart des badauds, et les commerçants commencent à remballer leurs marchandises.

Pas de quoi décontenancer Slimane Tir qui se présente sous les couleurs du Parti socialiste (PS) et d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV), en vertu de l’accord signé entre les deux partis en novembre dernier. L'homme distribue ses tracts, en compagnie de l’ancien et du nouveau maire de la ville.

Le premier, René Vandieriendonck (PS), autrefois fâché avec Slimane Tir, a été remplacé par le second, Pierre Dubois (PS), après avoir été élu sénateur du Nord en septembre.

Après le meeting commun de Martine Aubry et Cécile Duflot à Roubaix la semaine dernière, c'est un autre symbole de "rassemblement" pour l’écologiste.

René Vandierendonck (PS) et Slimane Tir (EELV) © DR

La ville, comprise dans la 8e circonscription du Nord, a voté à 67,35% pour François Hollande au second tour de la présidentielle.

Il faut dire qu'à Roubaix, la ville "la plus pauvre de France", le taux de chômage atteint 28,6% de la population,

Un Roubaisien, Braïm, interpelle les trois compères pour demander un coup de main pour son fils qui cherche un stage afin de valider son brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa).

"Je ne veux pas qu’il deale", plaide-t-il. "Tu es le cousin de Djamel ?", lui demande Slimane Tir. "Celui qui tient le restaurant ? Oui", lui répond Braïm.

Ici, le candidat PS-EELV semble connaître tout le monde. L’homme fait même de sa proximité avec les habitants un argument de campagne pour remporter ce scrutin.

"La question écologique est populaire, argumente-t-il. Il faut expliquer aux gens en quoi ses enjeux à long terme impactent sur leur vie."

Candidature controversée ?

Né en 1956 à Bouira en Algérie, Slimane Tir fonde le groupe Les Verts à Roubaix en 1988 alors que l’extrême droite fait une percée.

"On touchait aux limites de l’engagement associatif, explique-t-il. Comme la politique s’occupait mal de nous, on a décidé qu’il fallait s’occuper de la politique."

Naturalisé en 1989, il entre au conseil municipal la même année et accède en 2001 à la vice-présidence de la communauté urbaine de Lille en charge du syndicat mixte Espace naturel.

Diplômé en sciences économiques, il est aussi responsable de la radio locale associative Radio Pastel.

Surtout, Slimane Tir pourrait devenir l'un des premiers députés Français d’origine maghrébine à l’Assemblée nationale sous la Ve République.

"C’est un citoyen français qui sera élu, précise-t-il. Ça fera la démonstration que la population de Roubaix a une avance intellectuelle et morale sur tous ceux qui sont xénophobes."

Pourtant, la candidature de Slimane Tir est loin de faire l’unanimité. Sur Internet, l’extrême droite et la gauche laïque voient en lui un islamo-gauchiste voire un communautariste musulman.

Elles lui reprochent notamment d’avoir fait participer Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans, à une émission de Radio Pastel.

L'intellectuel Tariq Ramadan plaide pour une meilleure intégration des musulmans en Europe mais on lui reproche d'avoir un double discours © JACQUES DEMARTHON / AFP

"Tariq Ramadan est-il interdit d’antenne ?, s’emporte Slimane Tir. Je trouve légitime et normal de donner pignon sur antenne aux musulmans pour faire la distinction entre les islamistes et les croyants qui avaient besoin de sortir des caves. La diversité doit s’exprimer."

Un soldat socialiste sacrifié

Du côté de la gauche classique aussi, la candidature de Slimane Tir énerve. Le député sortant et maire de Wattrelos, Dominique Bart, se présente aux législatives, malgré son exclusion du parti.

Dans son bureau de premier vice-président de Lille Métropole communauté urbaine en charge du budget, le dissident socialiste ne décolère pas.

Et si la photo le présentant bras dessus-bras dessous avec Martine Aubry est toujours accrochée au mur en face de lui, il reproche à ses camarades socialistes de l’avoir "sacrifié" au nom de l’accord politique signé entre le PS et EELV.

Contestant la légitimité de l’écologiste, misant sur son bilan et son travail à l’Assemblée nationale, il dénonce "une candidature fabriquée et imposée".

"Je suis un soldat cocu, à qui on a demandé de payer la facture que Lille n’a pas voulu payer, lance-t-il. Au bout d’un moment, il y a un devoir de désobéissance quand c’est contraire à l’intérêt des socialistes."

A l'orgine, la 2e circonscription du Nord était réservée aux écologistes. Mais d’après Dominique Baert, Martine Aubry y a voulu placer sa dauphine, Audrey Linkenheld (PS), abandonnant de fait la 8e aux Verts locaux.

Un point de vue que ne partage pas la première secrétaire du Parti socialiste qui déclarait dans Le Monde du 1er juin : "Les Verts ont toujours demandé la 8e circonscription".

Partant avec ce handicap, le député sortant refuse toutefois de croire au dernier sondage Ifop réalisé mi-mai pour le PS, qui le place en 4e position du scrutin.

Capture d'écran du résultat du sondage Ifop pour la 8e circonscription du Nord © DR

"Si la dimension locale entre en considération, je gagne haut la main, commente-t-il. Si c’est la couleur politique, ça sera plus difficile."

Dominique Baert estime être le seul à pouvoir faire barrage à la candidate frontiste Françoise Coolzaet qui pourrait réaliser un score important au premier tour. Mais Slimane Tir, lui, ne croit pas en un score élevé du FN, "en régression à Roubaix".

"Ici, tout est verrouillé : c’est la mairie sinon rien"

Car la candidate du Front national se tient en embuscade. Cette déléguée médicale et mère de famille tente de refaire la campagne de Marine Le Pen à la présidentielle.

Pour elle, "Roubaix est gangrénée par les associations musulmanes".

"On a perdu l’âme de Roubaix, lance celle dont les grands-parents habitaient la ville. Avant, les gens laissaient leur porte ouverte, maintenant ceux qui veulent partir n’arrivent même plus à vendre leur maison."

La candidate du FN Françoise Coolzaet dans les locaux du parti à Lille © DR

La candidate du FN compte surfer sur le ressentiment d’une partie de la population, dont le revenu fiscal moyen dépassait à peine 14 000 euros par foyer en 2009.

"On ne connaît pas le programme de Françoise Collzaet, accuse Salima Saa, la candidate UMP dans la circonscription. Elle ne fait pas campagne."

Celle qui a été présentée, un temps, comme l’étoile montante de l’UMP souffre elle aussi d’une sous-exposition. Surtout depuis qu’elle a fermé son compte Twitter, après plusieurs gaffes.

Ce qui ne l’empêche pas de se voir au second tour du scrutin tout en aspirant à participer au développement économique du versant Nord-Est de la région.

"Roubaix est sinistré, déplore-t-elle. Les gens en ont marre, ils ont l’impression d’être abandonné. Ici, tout est verrouillé : c’est la mairie sinon rien. Tout le monde a un parent dans sa famille qui travaille à la mairie ou dans une association liée à elle."

Une déclaration qui rappelle la situation sociale d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) du temps de Gérard Dalongeville.

France 3 Nord Pas-de-Calais a organisé trois débats "spécial législatives", dont un sur la 8e circonscription du Nord. Vous pouvez le consulter (à partir de 30’).