Le 9 juillet au parc de la Deûle, banlieue de Lille, sera inauguré le « jardin de la Méditerranée orientale », dixième espace paysager consacré à une des cultures d'origine des habitants venus d'ailleurs.
HOUPLIN-ANCOISNE (Nord)
De notre envoyée spéciale
Les maçons sont à pied d'œuvre. Déjà, cinq portes se découpent dans des murs de pierre, comme souvent dans les contrées méditerranéennes où ils abritent cafés et treilles. Derrière, une étonnante structure métallique rouge en forme de turban oriental.
À ses pieds, seront, cet automne, plantés des centaines de bulbes de tulipes, une fleur originaire de Turquie, introduite en France au XVIIIe siècle par Ogier de Bousbecque et dont les Néerlandais ont fait une véritable industrie. Il reste encore à installer les petits ânes gris dans l'étable proche, à terminer la pergola qu'escaladeront des rosiers parfumés de Bulgarie, à placer dans les massifs des plantes résistantes à la sécheresse mais aussi… au froid !
En effet, même si ce jardin a pour mission d'évoquer la « Méditerranée orientale » (Grèce, Turquie, Bulgarie), il faut également « faire avec » le rude climat du Nord ! Le concepteur, l'architecte-paysagiste grec Georges Vafias et Bernard Chapuis, son associé dans l'agence AEP, ont en effet décidé que « la valorisation de la rareté de l'eau serait l'axe principal » de ce projet réalisé « par plaisir, pas pour gagner de l'argent ». « Je n'ai pas voulu me focaliser sur le folklore de chacun des trois pays, mais au contraire trouver ce qui est commun à tous », insiste Georges Vafias.
Ce jardin, le dixième du genre, s'inscrit dans l'ensemble Mosaïc installé dans l'immense parc de la Deûle, dans la banlieue lilloise. « C'est une graine plantée en 1968 par les élus des communes de Houplin-Ancoisne, Santes et Wavrin », raconte Caroline Gaignard, chargée de mission d'Espace naturel Lille métropole. Juste récompense, ce syndicat mixte chargé de gérer et animer les 1 300 hectares d'espaces naturels autour de Lille a reçu, en 2006, le grand prix du paysage. Et en 2009, le prix du paysage du Conseil de l'Europe. « Il y avait, ici, des terrains abandonnés ou mêmes pollués. Les élus ont voulu à la fois protéger les nappes phréatiques et pallier au déficit d'espaces verts ouverts à tous », précise Caroline Gaignard.
Dans les années 1990, lorsque le parc de la Deûle a vu le jour à l'initiative de Pierre Mauroy, alors président de la Communauté urbaine, une agence belge réputée – JNC – et un paysagiste de renom – Jacques Simon –, spécialiste du Land art, ont imaginé trois types d'espaces :
la « nature retrouvée » à Santes où des arbres ont été replantés sur des terrains dépollués pour favoriser le retour de la biodiversité ; la « nature domestiquée » à Wavrin où le site a été retravaillé, en lien avec les agriculteurs (création de chemins, de haies, etc.) ; enfin, la « nature magnifiée » avec Mosaïc. Cet espace fermé de 33 hectares alterne coins « sauvages » (priorité à la biodiversité, toujours !) et jardins contemporains à thème.
À terme, il devrait y en avoir une vingtaine.
Ce sont les installations néolithiques découvertes en ce lieu, au début des travaux, qui sont devenues le sujet du… « jardin premier ». Le fil conducteur, commun à tous les autres, c'est la diversité culturelle de la métropole lilloise : ici, une personne sur cinq a des origines étrangères ! Et, la population compte plus de 80 origines différentes. « Nous avons voulu rendre hommage à la diversité des anonymes qui ont contribué au développement de cette région », raconte Slimane Tir, élu (vert) à Roubaix, vice-président de la Communauté urbaine de Lille et président d'Espace naturel Lille Métropole.
Chaque jardin évoque en effet – en la réinterprétant – la culture de la région dont est issue l'une des principales communautés de migrants. « Ce sont des jardins de plantes et d'hommes, pas de communautés, pas de pays », insiste Pierre Dhenin, directeur d'Espace naturel Lille Métropole. « Il y a des plantes, des œuvres d'art, des animaux et des jeux, les migrants s'y retrouvent complètement », assure-t-il. « Ce sont des jardins rêvés, élaborés à partir de leurs souvenirs, qui campent une ambiance », affirme, de son côté, Slimane Tir. Pour chacun, aux côtés des paysagistes, les migrants ont été associés à la réflexion, via leurs associations mais aussi leurs consulats ce qui a parfois donné lieu à quelques empoignades… nationalistes.
Pourquoi illustrer telle ou telle culture ? « Nous sommes partis des statistiques de l'Insee », réplique Caroline Gaignard. « La communauté la plus importante, la plus ancienne, raconte Pierre Dhenin, ce sont les Flamands venus de Belgique, après la première guerre mondiale, pour travailler dans les usines textiles. »
Suivront, dans les années 1930, les Polonais dans les mines, puis, après la seconde guerre mondiale, les Italiens, dans le bâtiment. Dans les années 1950, les Portugais et les Espagnols arriveront, puis dans les années 1960, les Maghrébins, suivis dans les années 1970, par les Africains, dans les années 1980, par les Asiatiques, surtout Laotiens, et enfin, plus récemment, par les Britanniques, immigrés en cols blancs ou résidents secondaires.
Ces jardins sont des lieux de promenades, de repos, de jeux, d'animations variées (concerts, contes, calligraphie, atelier de henné, etc.), souvent à l'initiative d'associations de migrants. « Ici, chaque visiteur a son coin de prédilection. Le plus apprécié, c'est le jardin laotien », confie Pierre Dhenin. Ce jardin où tout évoque l'eau et la végétation luxuriante, est structuré autour d'une immense carcasse en bambou figurant la silhouette d'un dragon.
Cependant, la découverte de Mosaïc débute par un ancien wagon où l'hôtesse d'accueil vous souhaite « bon voyage ! ». Invite appropriée ! Logiquement, après le « jardin premier », les visiteurs abordent le jardin flamand et son « géant du Nord » en métal jaune, puis glissent du jardin de l'Europe orientale jusqu'au jardin des figuiers dédié aux Maghrébins, avant d'aborder « Africa Mamma » qui, organisé autour d'un catalpa/arbre à palabres, évoque Sénégal et Mali. Un jardin sublime l'Italie, un autre l'Espagne et le Portugal et ainsi de suite.
Il y a aussi des trouvailles dont le succès ne se dément pas comme cette bétonnière peinte qui laisse échapper ces airs de bel canto familiers aux maçons italiens. Ou, dans le jardin anglais, ces vélos surmontés d'un parapluie sur lesquels l'eau coule dès que l'on pédale ! En voyageant ainsi d'un jardin à l'autre, les visiteurs s'imprègnent peu à peu de l'esprit du vaste monde.