Un incendie d'origine criminelle ravage les locaux de "Charlie Hebdo"
La couverture du numéro de "Charlie Hebdo" rebaptisé "Charia Hebdo" après la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie, et la mise en place de la charia en Libye. AFP/MARTIN BUREAU
Les locaux de la rédaction de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo ont été en partie détruits dans la nuit du mardi1er au mercredi 2 novembre par un incendie volontaire. Il était entre 1 h 10 et 1 h 20, lorsque, alerté par un bruit de vitre brisée, un témoin aurait aperçu deux personnes en train de prendre la fuite, alors qu'elles venaient de jeter "un ou deux engins incendiaires" au 62 boulevard Davout, à Paris (20e arrondissement), siège du journal. L'hebdomadaire publie, ce mercredi, un numéro surtitré "Charia hebdo" avec une caricature de "Mahomet, rédacteur en chef".
Le sinistre n'a pas fait de victime mais engendré d'importants dégâts: plus de 150m2 ont été carbonisés ; la moquette, le système électrique et des postes de travail, donc celui de la maquette, dévastés. Les cocktails molotov auraient été lancés contre la façade de l'immeuble, les flammes ravageant le rez-de-chaussée et une partie du premier étage. "Tout a été détruit", a déclaré le dessinateur, rédacteur en chef et directeur de la publication, Charb.
Une enquête de flagrance confiée à la brigade criminelle de la police judiciaire de la préfecture de police (PJPP) a été ouverte au parquet de Paris. Geste d'individus isolés animés d'intentions crapuleuses ou opération montée par des groupes extrémistes religieux ou politiques ? Mercredi matin, les policiers restaient dans l'expectative, même si la seconde hypothèse semble la plus crédible. "Pour l'heure, on ne sait rien et aucune piste ne peut être négligée", assurait la préfecture de police.
Le siège parisien de Charlie Hebdo après l'incendie des locaux, le 2 novembre 2011.AFP/ALEXANDER KLEIN
Pour le responsable de l'hebdomadaire, en revanche, l'origine de cet incendie ne fait guère de doute. Charb établit un lien avec la sortie du numéro en vente ce mercredi 2 novembre, tout en affirmant qu'il ne s'attendait pas à de telles réactions. "Ce n'est pas la première fois que nous dessinons Mahomet, nous le faisons presque toutes les semaines, souligne Charb. Nous voulions réagir à l'annonce de l'instauration de la charia en Libye et à la victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie."
Les protestations ont commencé à circuler sur Twitter dans la soirée du dimanche 30octobre, sur le thème "cette couverture est une insulte". Certains suggéraient même d'acheter le journal pour le brûler. A cette date, seule la "une" et quelques dessins avaient circulé sous la forme d'un communiqué de presse adressé aux journalistes et diffusé par certains d'entre eux sur les réseaux sociaux. "Les gens se sont enflammés pour un journal dont ils ne connaissaient pas le contenu", s'étonne Charb.
La polémique s'est intensifiée dans la nuit de mardi à mercredi, avec la publication de menaces sur la page Facebook de l'hebdomadaire, invitant notamment à fermer cette page. La rédaction a également reçu des menaces de mort par courriels : "on va tous vous tuer" ou encore "l'islam vaincra".
Le site de l'hebdomadaire a été piraté et renvoyait, mercredi matin vers 7 heures 30, à une page montrant LaMecque avec ce slogan: "Not god but Allah" (pas d'autre Dieu qu'Allah).
Sur la couverture du numéro de Charlie Hebdo en vente cette semaine, un Mahomet hilare s'exclame: "100 coups de fouet si vous n'êtes pas morts de rire!" Le personnage de Mahomet, "rédacteur en chef spécial", signe l'éditorial et commente l'actualité sur un mode humoristique à toutes les pages. Une double page de caricatures est consacrée à "la charia molle" et une autre intitulée "Charia Madame", au sort des femmes.
La couverture du numéro de Charlie Hebdo, baptisé "Charia hebdo", qui sort le 2 novembre.AFP/MARTIN BUREAU
Charb se défend de cibler systématiquement les musulmans : "Nous avons critiqué beaucoup plus les intégristes catholiques. En 19 ans, nous avons eu 13 procès avec certains d'entre eux et un seul avec des musulmans. On ne se lève pas chaque matin en se disant: "qu'est-ce qu'on va pouvoir raconter sur l'islam aujourd'hui?"." En 2008, la cour d'appel de Paris avait relaxé l'hebdomadaire, poursuivi par la Grande mosquée de Paris et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) pour avoir publié, deux ans avant, des caricatures de Mahomet, publiées dans un journal danois.
Dès 10 heures mercredi, la rédaction de Charlie Hebdo s'est réunie, sur le trottoir devant l'immeuble, pour préparer le prochain numéro. L'hebdomadaire cherche maintenant des locaux et des ordinateurs pour reparaître.
Yves Bordenave et Xavier Ternisien ( Le Monde )